À plus de 80 ans, ce jeune octogénaire qu’est Tomi Ungerer, nous revient avec un album équilibré, sobre et mystérieux, rendant hommage au pays qui l’a adopté, lui et sa famille depuis 1976, l’Irlande. Le splendide travail d’illustrations réalisées sur calques, pastel gras et encre noire, accompagne un texte qui transporte le lecteur entre légende et réalité.
Dans Maître des Brumes, Tomi Ungerer évoque une Irlande pauvre, battue par les vents et enveloppée de cette brume soyeuse qui vient de la mer pour baigner rochers et paturages.
Finn et Cara reçoivent de leur père un curragh, petite barque typique de leur pays. Et à la phrase paternelle « ne sortez pas de la baie », on sait que l’aventure commence. Elle conduira les enfants vers l’Île aux Brumes sous le regard bienveillant de la lune. Le Maître des lieux, vieillard à la longue chevelure blanche, les accueillera avec chaleur puis leur montrera comme se fabrique la brume. Il y a quelque chose de Jules Verne dans cet immense laboratoire obscur dont les installations permettent d’aller chercher l’énergie dans le magma de la terre. Mais rappelons-nous aussi les mouvements d’horlogerie chers à Ungerer (un héritage de son père) ou le laboratoire du fameux professeur Ekla des Ombres de Jean de la lune. Quoi qu’il en soit, aucune frayeur ne repousse les enfants. Ils incarnent la victorieuse énergie de leur jeunesse face aux peurs des adultes et se réveilleront de leur rêve dans les ruines d’un vieux château aux racines qui le dévorent.
À trois reprises, Ungerer donne du répit à la narration par des doubles pages illustrées sans texte, aucun. On y respire, on y sent la brume légère, on y contemple l’apaisement d’un paysage aux lignes signueuses.
Outre Jean de la lune évoqué plus haut, cet album n’est pas sans rappeler quelques accents de Trémolo ou d’Ami-Amie par la musique et la fête. Quelques clins d’œil sociaux aussi : le curé est bien là avec son verre de bière, la famille pauvre décrite dans l’histoire ne manque de rien (« le peu qu’ils avaient suffisait à leur bonheur »), la tradition celte est présente (cf. la harpe du Maître). Le livre refermé et l’histoire achevée, subsistent les teintes douces et subtiles des illustrations dont les visions alimenteront l’imaginaire de ceux qui savent encore rêver.
Maître des Brumes, Tomi Ungerer, l’école des loisirs, en librairie le 26 mars.
À lire aussi, l’hommage de Sophie van Der Linden : http://www.svdl.fr/svdl/index.php?post%2F2013%2F03%2F05%2FMaitre-ungerer