Chaque livre de Kitty Crowther est un secret que l’on nous confie. Une confidence poétique qui n’a pas besoin d’esbroufe pour trouver la force d’exister. Kitty puise en chacun de nous ce que l’on sait de plus profond, de plus authentique et de plus instinctif. Ce fut le cas de Mon ami Jim, ma première « rencontre » avec cette créatrice et cela recommence à chaque nouvel album, qu’il soit léger (Clip clap dip clapote, Poka et Mine) ou un peu plus grave (Moi et Rien, Annie du Lac, Petit homme et Dieu).
On entre dans l’histoire de Mère Méduse un soir, alors que « le grand travail de la vie commence ». Méduse met au monde un ravissant bébé, Irisée, aidée d’une sage-femme et de son assistante. C’est une affaire de femmes. Avec son immense chevelure blonde, Méduse berce Irisée, la nourrit, lui apprend des choses, mais la protège aussi, et l’enferme dans son propre monde. Pourtant, un jour, l’enfant voudra rejoindre les autres à l’école. Méduse résistera puis finira par la laisser aller. De cette étape importante et difficile vers l’autonomie, Méduse sera transformée.
Voici en résumé et pour rappel ce que Wikipedia nous indique pour le nom Méduse: « Méduse, du grec médô pour commander, règner, est la seule des trois Gorgones à être mortelle. Elle est la petite fille de l’union de la Terre et de l’Océan. Sa chevelure est entrelacée de serpents. Son visage a le pouvoir de pétrifier tout mortel. La perception de Méduse s’est modifiée au fil du temps. Le mythe a alimenté des recherches sur la puissance du féminin, l’angoisse de la castration, le rapport intime au monstrueux et l’existence de sociétés matriarcales préhistoriques. »
Certes, Kitty Crowther ne raconte pas l’histoire et le mythe de Méduse dans son album. Mais en choisissant ce nom, elle nous rattache cependant à quelque chose d’ancestral. Une époque de la vie où mère et enfant sont en fusion. La société d’aujourd’hui insiste beaucoup sur le social et pour un peu, Méduse semblerait monstrueuse dans sa possessivité. Pourtant, elle est une mère comme les autres. Elle tisse des liens avec son enfant et ce qu’elle transmet à Irisée, cette dernière saura le redonner, comme on le voit dans cette image lorsqu’elle prend un livre et raconte une histoire aux autres à l’école. Il y a ce mélange de tendresse et de presque violence dans les émotions qui font écho à l’intimité du duo et au déchirement d’exister dans le monde extérieur. Méduse contient tout cela en elle. Elle est forte et fragile à la fois. Elle est la richesse d’Irisée, et pourrait être son obstacle à son épanouissement.
Le récit est soutenu par la grande poésie des illustrations et l’atmosphère du monde aquatique cher à l’auteure. L’énergie des lignes jongle avec les pleins et les vides dans lesquels s’insinue la lumière. Au coeur du livre : cette page centrale, sans texte, un moment très fort au milieu de petites pousses, fleurs, et coquillages. À cet instant tout peut changer, et tout changera. À droite, le monde vif et coloré des enfants sautillant et jouant; à gauche Méduse retenant Irisée dans ses cheveux, avec un regard en dit long.
Enfants et plantes sont les couleurs du monde. Et cela, Méduse le sait bien. Mais je m’aperçois que je n’ai pas parlé d’amour. Et pourtant…
Mère Méduse, Kitty Crowther, Pastel